Bibouille

CHEVAUCHER LES NUAGES

Publié le 28/06/2022 | Grand angle

Enfants, nous rêvons de nous asseoir ou de faire la sieste sur eux. Allongés dans l’herbe, nous cherchons des formes dedans. Matériels et pourtant insaisissables, les nuages, de nature mobile et fugace, passent au-dessus de nos têtes, mais aussi dedans. Car l’humanité a commencé à appréhender le monde par les symboles : dieu du soleil et déesse de la lune, divinités célestes et telluriques… Quels récits avons-nous tissé autour du nuage, cet habitant de l’espace indéfini entre le ciel et la terre ?

 

CE QUI NOUS ÉBRANLE

Unique objet d’amour du poète qui se moque un peu de lui-même tout en contemplant l’absolu, ou voile qui couvre les parties intimes des dieux et symbolise nos humaines turbulences ?

 

RICHARD ONIANS a établi que le nuage, substance impalpable désignée par des mots qui l’assimilent à un voile, en grec (nephelê) comme en latin (nubes), est le vêtement des dieux, et quand il habille les mortels c’est pour décrire métaphoriquement le sommeil, la mort, les émotions de l’âme, tous les états limites de perturbation.
Les origines de la pensée européenne, 1999.

 

CHARLES BAUDELAIRE dans L’Étranger récite ainsi : « – Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ? – Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère. – Tes amis ? – Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu. – Ta patrie ? – J’ignore sous quelle latitude elle est située. – La beauté ? – Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle. – L’or ? – Je le hais comme vous haïssez Dieu. – Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ? – J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages ! ».

Petits poèmes en prose, 1859.

 

 

RECONNAÎTRE LES NUAGES

Dans sa chanson L’orage, Georges Brassens guette les nimbus, les stratus et les « moindres cumulus », mais comment a-t-on réussi à nommer ces formes transitoires, mouvantes et éphémères qui flottent au-dessus de nos têtes ?

 

LA NÉPHOLOGIE DE LUKE HOWARD, 1803

L’ « invention des nuages » est indissociable du nom du londonien Luke Howard (1772-1864), pharmacien et météorologue amateur qui, au XIXe siècle (époque de fervente classification de la nature), a contribué à la naissance de la météorologie moderne par la néphologie : l’étude des nuages. Son système de nomenclature, basé sur 3 catégories : les cumulus, les stratus et les cirrus – ainsi que leurs déclinaisons : cirrostratus et stratocumulus, est encore utilisé aujourd’hui.Le succès du système de Howard est dû à son utilisation du latin (langue partagée par les diverses communautés scientifiques) et à son insistance sur la mutabilité des nuages. Son travail a impressionné le romantique Goethe qui lui « tendit la main de l’amitié et de l’admiration ».

 

ATLAS INTERNATIONAL DES NUAGES
L’actuel système international de classement des nuages est donc le fruit d’un travail commencé au XIXe siècle avec Luke Howard en tête. En 1879, H.H. Hildebrandsson, professeur et météorologue suédois, applique pour la première fois la photographie au classement des nuages et établit un atlas des nuages comportant 16 photographies. Ce travail donne lieu au premier Atlas international des nuages publié en 1896. Plusieurs rééditions améliorées s’ensuivent, jusqu’à la création de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et la publication en 1956 d’une version plus aboutie. Une édition moderne paraît en 1987 et trente ans plus tard, en 2017, sort la dernière version à l’ère du développement numérique.

 

 

MYTHOLOGIE DU NUAGE

Nuages-soupirs, nuages cousus, cruches de nuages… les anciennes religions polythéistes content de multiples histoires, souvent aussi belles que terribles, autour de ces nuées. Rapide tour d’horizon.

 

CŒURS BRISÉS
Dans la mythologie maorie, Ranguini, le Père Ciel, et Papatuanuku, la Mère Terre, forment le couple originel. Enlacés dans une étreinte éternelle, ils empêchent la lumière de pénétrer le monde où vivent leurs enfants. Ces derniers décident donc de les séparer. Ranginui est inconsolable et pleure son épouse. On dit que ses larmes ont formé les rivières, les mers et les océans de la planète. Et aujourd’hui encore les nuages seraient les soupirs de Papatuanuku.

 

 

TISSERANDE DE NUAGES

Dans la mythologie nordique, Frigg est la première de toutes les déesses et la protectrice des femmes. En épousant Odin, elle devient reine d’Asgard (demeure des dieux) et des Ases (dieux principaux). Parfois, Frigg monte sur le trône Hlidskjálf (elle est d’ailleurs la seule femme à pouvoir s’y asseoir) pour observer chacun des neuf mondes portés par Yggdrasil, l’Arbre Monde. Et lorsqu’elle n’est pas sur son siège, Frigg file les nuages avec ses douze servantes. Les suédois ont d’ailleurs nommé une constellation « Fuseau de Frigg », d’après le fuseau de la déesse.

 

 

NOURRITURES CÉLESTES

Les Néphélées sont dans la mythologie grecque les nymphes des nuages et de la pluie. Filles d’Océan et de Thétis, elles s’élèvent des flots qui entourent le monde, les emportant avec elles vers le ciel. De ces eaux dont elles ont remplies des cruches faites de nuages, elles nourrissent la Terre et alimentent les eaux de leurs frères, les dieux fleuves. Par ailleurs, Néphélé est un nuage auquel Zeus donne l’apparence de sa femme Héra, afin de tromper Ixion qui a tenté d’abuser de cette dernière. La ruse réussit, Ixion s’unit à Néphélé et ainsi naissent les centaures.

 

 

 

CECI N’EST PAS UN NUAGE

Quand on pense au peintre René Magritte, la fameuse pipe nous vient souvent en tête. Pourtant, les nuages ont une place prépondérante dans son œuvre.

 

 

 

Dans une multitude de ses tableaux, le peintre belge utilise en effet ce motif — ou ce symbole — pour mieux le détourner. Les nuages qu’il peint sont souvent des cumulus, ces petits nuages blancs du beau temps, nos compagnons de balades mais aussi les éléments indispensables à tout dessin d’enfant, qui donnent du sens et du relief à l’immensité du ciel.
Magritte, lui, transforme les ciels nuageux en papier peint, en toile de fond, en fond de l’œil. Il en fait la matière même des voiles du bateau, du corps de l’oiseau. Dans un œil écarquillé, les nuages se déploient autour de la pupille : on voit alors l’œil et dans le même instant, ce que l’œil voit. Un nuage s’engouffre par la porte entrouverte, ou vient se poser dans un verre géant.
Mué en personnage, le nuage s’invite dans notre vie de tous les jours pour lui apporter un peu de sa légèreté, et surtout, pour transformer le banal en extraordinaire, le normal en bizarre, le quotidien en mystère. Il devient alors possible d’offrir un nouveau regard à ce qui nous entoure. Peut-être une belle métaphore de l’art ?
Merci à la RTBF et Jean-Philippe Theyskens pour l’inspiration.

 

 

NUAGES EXTRATERRESTRES

Les nuages n’existent pas que sous forme de moutons blancs dans notre ciel. En fait, nous vivons dans un immense nuage. Et nous pouvons même dire bonjour à nos voisins nuages de la Voie lactée.

 

 

NUAGE INTERSTELLAIRE

En astronomie, « nuage interstellaire » est le nom générique donné aux accumulations de gaz et de poussières dans notre galaxie. C’est le milieu d’où naissent les systèmes solaires. Les nuages interstellaires froids contiennent l’essentiel des réserves d’eau de l’univers, principalement sous forme de glace.

Par ailleurs, notre système solaire actuel se déplace dans le Nuage interstellaire local, aussi appelé Peluche locale, depuis son entrée s’étalant entre 40 000 à 150 000 ans. Il devrait en sortir dans 10 000 à 20 000 ans. 

 

 

NUAGES DE MAGELLAN

Les Nuages de Magellan sont des galaxies naines voisines de la Voie lactée, avec d’une part le Grand Nuage de Magellan et d’autre part le Petit Nuage de Magellan. Mentionnés pour la première fois par l’astronome Perse Abd-Al-Rahman Al Soufi en 964, puis 5 siècles plus tard, par Amerigo Vespucci dans le compte rendu de son voyage, c’est cependant Ferdinand Magellan qui leur donnera son nom lors de son tour du monde au XVIe siècle. À l’époque, bien sûr, personne ne connaissait la nature exacte de ces objets nébuleux et il faudra attendre le XXe siècle pour en savoir plus

 

 

 

DES PHÉNOMÈNES

Nuages, certes, phénomènes nuageux incroyables, oui, aussi ! Car le ciel nous réserve bien des surprises.

 

 

 

L’ARCUS
Nuage en forme de rouleau pour certains, d’arc allongé pour d’autres, impressionnant voire menaçant, l’arcus est un nuage d’orage, à la base d’un cumulonimbus. Annonciateur d’orages avec de grosses averses, voir arriver un arcus est plutôt un mauvais présage. De plus, il se situe pile au niveau de la zone de foudroiement la plus intense du cumulonimbus.

 

 

LE SKYPUNCH OU TROU DE VIRGA

Voir un skypunch ou un trou de virga, c’est comme voir un trou dans une couche nuageuse. L’origine de ce phénomène particulier est, pour vulgariser, la formation de cristaux de glace trop lourds pour rester en suspension. Cependant, au lieu de tomber, ces cristaux restent en l’air, d’où la naissance d’un trou dans le nuage. Or, une précipitation qui n’atteint pas le sol est appelée « virga ».

 

 

 

LE NUAGE LENTICULAIRE

Il s’agit du nuage que l’on peut prendre pour un OVNI ! Immense et stationnaire, il est souvent comme « posé » au sommet d’un pic montagneux. Il peut d’ailleurs y en avoir plusieurs. Pour se former, le nuage lenticulaire a besoin de trois ingrédients : de l’air humide, du vent et une montagne.

 

 

LE MAMMA

Les mammatus (ou mammas) sont tout ronds, comme d’étranges protubérances (d’où leur nom) et se pré- sentent toujours sous un autre nuage dont ils sont une extension. Les mammatus se forment lors de la plongée de l’air humide dans l’air sec. Il s’agit en fait de nuages « à l’envers » !

 

 

L’INSTABILITÉ DE KELVIN HELMLOTZ

Il s’agit d’un phénomène météorologique éphémère qui forme des vagues de nuages, comme si le ciel se transformait en océan. Ces nuages se forment lorsque deux couches d’air superposées ont des densités différentes (air chaud versus air froid), qui se déplacent à des vitesses différentes en fonction de la force du vent.

 

 

IMAGINE

Ils s’apparentent à de la blanche barbapapa, sont aussi doux que les fleurs de coton. Leurs ombres derrière, ils se laissent lentement porter par un vent profond. Ils parcourent le ciel avec les plus téméraires des oiseaux, avec ceux qui osent voler jusqu’à eux. Au-dessus se trouve un ravissant ciel bleu, accompagné d’une brise qui nous caresse tendrement les cheveux. Nos yeux se plissent face au soleil qui scintille, face à ces formes blanches qui brillent. Le regard vers le ciel, le sourire aux lèvres… la tête dans les nuages.
Orane Danet

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